CARTON JAUNE
"Spivak
se leva pour serrer la main du rabbin.
"Et
pas de commentaire sur mon nom, d’accord ? dit celui-ci.
Je sais qu’en argot il signifie un ‘jaune’,
mais je tiens à mettre tout de suite les choses au point.
Appelez cela une grève préventive, si vous préférez."
Gerald Shapiro, Les mauvais juifs
J’ai
toujours beaucoup aimé la couleur jaune. L’automne qui
s’annonce sur les feuilles des arbres, déposant des taches
de rousseur sur leurs joues de chlorophylle, même si cet exemple
me fait penser à ma cousine boutonneuse qui mâche du Hollywood
chewing-gum.
Ah,
le jaune. Le soleil, les mines d’or, le Tour de France. Mes amies
nues sous leur ciré, avec leur teint si rose. Le teint cireux
de mon oncle, cirrhose également. La fièvre si exotique,
tellement plus sensuelle qu’une angine blanche, ou qu’un
herpès bleu qui amène toujours cette réflexion
: "Arrête de coucher avec la schtroumpfette, quand elle
mouille elle déteint".
Hum.
La Nature est quand même bien faite. Sur le spectre des couleurs
que décline l’arc-en-ciel, le jaune est placé juste
après le vert. Rendez-vous compte : s’il était situé
avant, les foins et les citrons seraient verts, ce qui serait ridicule.
J’en veux pour preuve le spectacle désolant du daltonien
s’acharnant à ouvrir une banane pas mûre, ou de Blanche
Neige qui, croyant jouer au Nain jaune, découvre que ses petits
compagnons sont encore verts. Rien de surprenant à ce qu’elle
les ait surnommés "les papous de la mine", démontrant
en même temps son art raffiné de la contrepèterie.
Et puis enfin, car des footballeurs nous lisent aussi, le jaune est
la couleur de ce carton, délivré pour la première
fois le 31 mai 1970 lors de la coupe du monde au Mexique. Quelle ne
fut pas la surprise du soviétique Lovchev de découvrir
qu’il était le premier joueur sanctionné par ce
révolutionnaire bout de plastique. Rappelons-nous alors le dialogue
entamé avec l’arbitre allemand Karl Tschencher, qui doit
son nom ridicule plus à la transmission héréditaire
qu’à son désir secret de devenir notaire.
"- Herr Lovchev, vous avez volontairement écrasé
la tête de votre adversaire, vous devez être sanctionné.
- C’est nouveau ça. Bientôt, vous allez me dire qu’il
est interdit de tacler au niveau des tibias. N’oubliez pas que
vous parlez à un enfant de Brejnev, et que si notre gardien a
un but, c’est de ne pas finir au goulag, quitte à inspirer
Harald Schumacher dans quelques années (1).
- Malheureusement, Herr Lovchev, vous risqueriez le carton rouge.
- Vous en avez combien comme ça ? Vous compter reproduire l’arc-en-ciel,
ou peut-être devenir special guest dans un épisode
des Bisounours.
- Ecoutez, lieber Fußballspieler, je ne suis pas responsable du
choix des couleurs. Vous croyez que je porterais ce costume noir mi-croquemort
mi-Jeanne Mas si j’avais le choix ?
- Ce qui ne répond pas à ma question : j’en fais
quoi moi, de votre carte jaune ? J’ai déjà le Mille
bornes des mômes dans la voiture, faut pas exagérer, il
n’y a pas tant de place que ça dans la Skoda.
- Ça vous apprendra à pas avoir de Volkswagen, chez nous,
tous les vieux en ont. Mais bon c’est vrai que la retraite de
Russie est un truc assez dramatique."
Enfin bon, moi je dis ça, je ne suis allé qu’une
fois au parc des Princes.
Sylvain
Ztein.
(1) Pour revoir un des gestes les plus
honteux de toute l’histoire de ce sport de ballon-pied, cliquez
ici