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LE TOURISME VAINCRA

"Je ne vois pas pourquoi on ferait un travail de deuil.
On ne se console pas de la mort de quelqu'un qu'on aime."
Michel Houellebecq

Alors que la mobilisation n'en finit pas de se mobiliser pour aider les victimes du tsunami d'Asie, une chose ne manque pas de choquer : l'arrivée, comme si de rien n'était, de charters de touristes qui n'ont pas annulé leur séjour. Et la valse surréaliste des quidams en short côtoyant les éléphants qui transportent des cadavres.

Interrogé, l'un d'eux – un Suisse mais ça n'est pas une excuse – disait "je suis très touché mais le jour où mon heure viendra, ce sera pareil". Certes. En même temps, on peut comprendre tous ces gens qui vont pouvoir se baigner dans une eau limpide, rencontrant parfois par mégarde des corps décomposés. "Chérie, arrête de me chatouiller quand je nage", dira peut-être ce même touriste suisse avant de constater qua la chérie en question est morte depuis quinze jours.

Après tout, le monde continue de tourner, pourquoi se priver de vacances paradisiaques sur une plage dévastée et dans un hôtel en jachère ? Tout le monde n'a pas la délicatesse allemande de déprogrammer le tube de l'été outre-Rhin, Die perfekte Welle (1).

Au contraire, les chaînes font leurs choux gras de toutes les images récoltées. Depuis le 11 septembre 2001, on n'avait plus vu une telle débauche de films amateurs diffusés en boucle sur les écrans du monde entier. Avec les commentaires bien entendu désolés, même si on sent poindre dans le ton des "Regardez cette vague, waoooouuuu, et le mec qui s'accroche au tronc d'arbre, c'est trop mortel". Un touriste allemand dont on a juste retrouvé la caméra a d'ailleurs gagné 1000 euros à titre posthume grâce à Vidéo gag.

Pendant ce temps, les morts se comptent par dizaines de milliers dans d'autres régions du monde (le Darfour, par exemple), mais les touristes n'y sont pas assez nombreux pour susciter l'émotion internationale. Tout comme on passe plus de temps à parler des quelques Français disparus, avec force portraits de leur famille, du chien et des amis dans leurs désespoirs si médiatiques, que des 100 000 morts indonésiens.

Mais il est vrai que faire du farniente à Banda Aceh est peu courant. Bien moins en tout cas que de se balader dans les rues de Phuket, la nuit, à la recherche d'un petit night club accueillant.

Bientôt, tout sera balayé, repeint, effacé. Les hôtels repousseront dans le paradis factice d'Occidentaux à la mémoire courte. Mais la Thaïlande a besoin de ses touristes. Et les touristes ont besoin de leur Thaïlande.

Christophe Chohin.

(1) "La Vague parfaite", gros succès du groupe Juli, encore dixième des classements de ventes de single en Allemagne avant le tsunami, que les radios ont préféré retirer de leurs antennes pour le moment. Les paroles, pour les germanophiles, sont disponibles ici. Pour les germanophobes, c'est l'histoire d'une vague parfaite qui recouvre tout sur son passage mais permet de réaliser ses rêves.