LA LEN FETIDE
"Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d 'avoir
et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs
et ignorants des causes qui les déterminent."
Baruch Spinoza, Lettre à Schuller
Je me souviens encore de ma vaine tentative d'envoyer un email depuis la Birmanie. Les guides préviennent le quidam que c'est impossible et "passible de prison". Rien que ça. Pourtant, la réalité est autre puisqu'il était en effet possible d'envoyer des mails dans certains endroits. Mais pas via votre adresse hotmail ou voilà. Non, à travers une adresse officielle redirigeant les mails.
Quelque chose comme ministry@myanmar.ptm.mn. De mémoire, l'adresse n'était pas celle-ci mais y ressemblait beaucoup. Donc, pour signaler à vos proches que la junte militaire ne vous retenait pas en otage et à quel point ce pays est merveilleux, vous étiez lus et relus par un fonctionnaire zélé du ministère des postes et communications birman. Depuis la situation a un peu évolué puisque des cybercafés ont ouvert à Rangoon et Mandalay.
Aujourd'hui, la France se plait à suivre ce merveilleux exemple avec la LEN , Loi sur l'Economie Numérique. La résumer serait ici difficile mais je vous renvoie à ce lien.
La responsabilité des hébergeurs sur les actes de leurs clients permet à la fois à la justice publique de se dégager et aux internautes de se déresponsabiliser. En effet, si l'hébergeur doit tout surveiller, il devient censeur et ne laisse plus la liberté à l'internaute de respecter (ou non) la loi.
Propre des sociétés modernes, la liberté qui nous est offerte est garantie par des sanctions pour ceux qui la menacent. Avec cette loi, il n'en serait plus question et notre seule liberté serait de suivre le contenu prévisible de sites censurés par les hébergeurs. Qui plus est, le contenu hébergé en France pourrait être supprimé et celui en provenance de l'étranger filtré s'il ne correspondait pas à la législation française.
La faisabilité technique d'un tel filtrage est pour le moins utopique. Mais elle met en danger l'existence même des fournisseurs d'accès qui pourraient être poursuivis pour ne pas avoir filtré correctement la toile. Avec les millions de sites existants, soit le chômage va être résorbé grâce à cette loi, soit les FAI pareront au plus pressé.
L'Internet est une des plus belles innovations du vingtième siècle. Aujourd'hui, dans l'optique louable de protéger des intérêts économiques en danger – maisons de disques, studios de cinéma, artistes – le législateur entend remettre en cause l'intérêt même du support : son extrême richesse laissée à la libre appréciation de l'utilisateur. Et ce genre de liberté, même virtuelle, est une chance rare aujourd'hui.
Alors, si vous ne voulez pas devoir envoyer vos mails demain via une adresse de redirection, ou même voir mondecruel censuré par free.fr et lycos.com, nos hébergeurs, parce que Tessa Martin ou Florent Pagny ne goûtent pas l'humour amer, signez cette pétition. Allez Florent, tu vas bien nous composer une petit Ma liberté de surfer ?
Il est presque trop tard, le texte est passé en première lecture à l'Assemblée nationale et est déjà en seconde lecture au Sénat.
Espérons que nos papys préférés sauront comprendre que l'écran posé sur leur bureau n'est pas un poste de TSF voire un gaufrier. Mais bien un espace de liberté qu'il serait destructeur de brider.Christophe Chohin.
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